Le
Nouveau Théâtre Populaire,
dix ans déjà !
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Un festival
Tout a commencé en 2009 lorsque le groupe originel d’une douzaine de membres, après quelques (jeunes) années à éprouver les difficultés de la création théâtrale en région parisienne et dans le off d’Avignon, eut soif d’autre chose : un lieu à l’écart, où l’on pourrait faire ce qu’on voudrait, affranchi des contraintes ordinaires de production. Le projet se cristallisa autour de l’idée d’un festival : il aurait lieu pendant les vacances d’été (personne alors ne songeait à être payé) ; on présenterait plusieurs pièces, pour la joie d’avoir beaucoup à faire ; et pour le reste, l’ardeur à l’ouvrage suppléerait au manque de temps et d’argent. Pour les acteurs, c’était l’occasion de s’emparer des grands rôles du répertoire à vingt ans ; pour les metteurs en scène, cela signifiait une totale liberté dans le choix du répertoire, en particulier celui des pièces à plus de cinq acteurs, inaccessible aux jeunes compagnies en temps normal ; pour tous, c’était s’ouvrir un espace d’expérimentation.
Il ne manquait plus qu’un nom : ce sera le festival du Nouveau Théâtre Populaire. C’est que l’esprit de Jean Vilar (qui donne aussi son nom au plateau, et à qui sont volées ses affiches rouge et blanc et la police de caractères de Jacno) est partout : dans les pièces choisies, au cœur du répertoire du TNP (la première édition présente Roméo et Juliette, Le Misanthrope, et une adaptation pour enfants d’un conte d’Andersen) ; dans le prix des places, résolument accessible — un tarif unique qui allait devenir une des pierres angulaires du projet, 5€ pour tous ; et dans un rêve de théâtre, exigeant et festif, populaire et littéraire, et aussi convivial que possible.
Il ne manquait plus qu’un lieu. Marie-Claude Herson-Macarel, la grand-mère de Lazare, avait une maison dans un petit village du Maine-et-Loire, Fontaine-Guérin : elle accepta, fait extraordinaire, qu’on vienne construire un plateau de bois dans son jardin et qu’on y improvise un festival de théâtre l’été suivant. La mairie prêta quelques centaines de chaises, et tout fut en place.
La première édition eut lieu du 15 au 23 août 2009 : on jouait le spectacle pour enfants le matin et les deux autres le soir, en alternance. Grâce aux tracts distribués sur les marchés des environs —et peut-être, assez vite, à un bon bouche-à-oreille —, elle rassembla un peu plus de 700 spectateurs : plus exactement, 700 billets furent vendus, tant il s’affirma d’emblée que les gens venaient souvent voir tous les spectacles, et parfois le même spectacle à plusieurs reprises. La magie de ce plateau de bois au crépuscule, entre l’église et la forêt, ravit tout le monde, la troupe la première ; et l’enthousiasme des spectateurs, nombreux à affirmer que c’était la première fois qu’ils allaient au théâtre ou qu’ils prenaient plaisir à Shakespeare, acheva de la convaincre qu’il se passait quelque chose qui la dépassait. Qu’elle avait, sans trop savoir comment, mis le doigt sur un vieux rêve de théâtre — un plateau de bois, des acteurs jouant les rôles dont ils rêvent, des spectateurs qui vont au théâtre comme ils vont chez leur voisine, des grands textes du répertoire redécouverts. Rendez-vous fut pris pour l’été suivant.
Dès lors, c’est le conte de fées. Chaque année, la troupe grossit d’un ou deux membres, le plus souvent des amis venus un été et ayant reconnu au Nouveau Théâtre Populaire le théâtre qu’ils avaient à cœur de défendre. Chaque année, la programmation s’enrichit : au principe, déjà un peu fou, de créer chaque année deux spectacles en alternance, s’adjoint celui d’en proposer deux pour enfants ; puis (à partir de 2013) d’ajouter une forme courte, en amont du festival, présentée chez divers voisins accueillants ; puis (à partir de 2015) d’en faire une seconde en aval, en nouant des liens avec les villages des environs. Ce sont maintenant six nouvelles créations qui sont proposées tous les ans, par une seule et même troupe qui prépare tout en quelques semaines en répétant d’arrache-pied du matin au soir. C’est trop, bien sûr : mais ce « trop » devient la marque de fabrique de la troupe, qui revendique sa faim insatiable de théâtre, et qui trouve dans cette parenthèse estivale tout ce qu’elle cherche péniblement le reste de l’année — la profusion de travail, poussée jusqu’à l’ivresse ; la complicité d’une troupe, affranchie de rapports hiérarchiques ; et la liberté artistique, pauvre mais absolue.
Celle-ci se manifeste avant tout dans le choix du répertoire. Ancré dans une grande fidélité à Shakespeare (Roméo et Juliette en 2009, Le Songe d’une nuit d’été en 2010, Macbeth en 2012, Othello en 2013, Hamlet en 2014, Richard III et La Tempête en 2016), dont l’œuvre incarne à merveille cet idéal d’un théâtre de troupe poétique et rassembleur, celui-ci s’élargit progressivement : des classiques (Le Cid en 2010, Tailleur pour dames et La Mort de Danton en 2011, Ruy Blas en 2012), il passe aux modernes (Pelléas et Mélisande et Le Cercle de craie caucasien en 2013, La Cerisaie en 2014), puis aux contemporains (Falstafe de Novarina en 2015, Hiver et Rêve d’automne de Jon Fosse en 2017), sans que l’un chasse l’autre — présenter six spectacles permet d’assurer un certain éclectisme, un équilibre auquel la troupe est d’ailleurs attentive (Shakespeare « assure » Kleist en 2016, tout comme Feydeau Claudel en 2017). L’influence de Jean Vilar et de ses successeurs au TNP est visible et assumée, mais jamais subie : le nombre de metteurs en scène, on y reviendra, allant croissant dans la troupe, c’est d’abord et toujours de désirs personnels forts que naissent les choix des pièces. L’héritage du Théâtre du Peuple de Maurice Pottecher, quoique moins revendiqué, se fait également ressentir : dans l’intégration aux spectacles de groupes d’amateurs — ainsi dans Œdipe Roi en 2014, La Paix en 2015 ou Grandes espérances en 2018 ; mais aussi dans le fait d’écrire des pièces, souvent à dimension historique, spécifiquement pour ce théâtre (Le Jour de gloire est arrivé sur les présidents de la ve République en 2014, La Fleur au fusil sur la Première Guerre mondiale en 2017, Robin des bois sur les luttes contre les enclosures en 2019). À l’occasion de la 10e édition, la troupe inaugure le principe des éditions thématiques : c’est d’abord l’édition « Comédie humaine », en 2018, entièrement consacrée à l’œuvre de Balzac ; suivie de l’édition « Auteurs vivants » en 2019, qui donne à entendre des pièces de Barker, Viripaev et bien d’autres ; l’édition 2020, actuellement en préparation, sera consacrée au cinéma, à travers des adaptations théâtrales de chefs-d’œuvre du 7e art.
Et le succès est au rendez-vous — dans des proportions inespérées. Chaque année, près d’un millier de places supplémentaires est vendu. 1800 en 2010 ; près de 3000 en 2011 ; 5000 en 2013 ; le cap des 10.000 entrées est franchi en 2017, et semble depuis être le poids de forme du festival. 10.000 entrées par an, pour six spectacles qui jouent cinq fois chacun, soit une moyenne de 300 spectateurs par représentation — avec parfois des pics au-dessus de 600 personnes. Une étude du public organisée en 2017 révèle un public majoritairement local (les deux tiers des spectateurs sont originaires du Maine-et-Loire), fidèle (60% sont déjà venus précédemment) et assidu (chaque spectateur vient voir en moyenne 3 spectacles). Les prises de risque croissantes de la programmation n’ont guère eu d’incidence sur la fréquentation, soit que la troupe ait réussi son pari d’amener progressivement le public à des textes peu connus, soit que le choix de telle ou telle œuvre soit presque secondaire par rapport à l’étrange magie qui se dégage du festival lui-même, et qui semble intrinsèquement liée à la dimension humaine et collective de l’aventure — à la question : « Quelles sont les principales motivations de votre venue au festival ? », 80% des spectateurs ont répondu : « La troupe ».
À cela s’ajoutent plusieurs marques de reconnaissance du milieu théâtral — Falstafe est programmé dans le In d’Avignon en 2015 ; Robin Renucci, dont le festival de l’Aria en Corse est une des références de la troupe, fait le déplacement, organise sur place des lectures sur l’histoire de la décentralisation, et offre pour plusieurs années le soutien des Tréteaux de France ; le TNP, pas rancunier du vol de son logo, ouvre l’accès à son stock de costumes ; et ainsi de suite. Tout cela, combiné avec les recettes croissantes du festival et des subventions ponctuelles — le soutien de l’ADAMI et du JTN s’avèrent décisifs —, permet d’atteindre un certain équilibre financier, et de s’assurer pour quelques années une rémunération minimale : loin de la mesure du travail fourni à l’année, ce qui est de toute façon bien rare de nos jours, mais suffisante pour que la troupe puisse poursuivre l’aventure avec un enthousiasme renouvelé.